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«L'ange du bizarre» par Dominique Brard |
« L’ange du Bizarre est le génie qui préside aux contretemps de l’humanité, et sa fonction est d’amener ces accidents bizarres, qui étonnent continuellement les sceptiques. »
Edgar Allan Poe
L’ange du Bizarre est tout à la fois un film voulu, précis et inventé sur le terrain en compagnie de Régis Jauffret.
Je l’ai tourné en toute liberté grâce à la générosité de Régis, la complicité de mon producteur, celle de l’équipe, la confiance de l’éditeur et de la jeune comédienne Amandine Pudlovska, sa justesse, sa force et sa douceur.
Je n’ai jamais senti l’écart ou le divorce entre les intentions, le désir et la somme des petites opérations concrètes qu’il faut réaliser pour faire un film. En cela il représente une expérience inédite.
Régis Jauffret raconte des histoires. Elles sont des contretemps, des accidents bizarres, inscrites en éclats à l’intérieur d’une existence ou d’une société qui fait violence par son silence.
Ses livres sont des lieux de batailles.
Régis écrivain n’est pas un homme tranquille. Un peu comme dans Promenade il a connu cette insomnie diurne et nocturne, cette fuite absolue du repos. C’est un homme debout et je lui ai demandé de marcher sans cesse tout au long des images.
Ces images sont tournées la nuit parce que je voulais que ce film ressemble à un rêve.
La scène de théâtre a représenté ce grand navire auquel me fait penser Paris et toutes les grandes capitales. Ce sont les pas de Régis sur le plancher que nous entendons dans la ville, comme la traduction de son impatience, de son inquiétude et de sa volonté d’artiste.
Le Théâtre a permis d’envelopper les conversations dans le noir et de traiter le noir comme une matière, une couleur, d’autoriser, au montage, tous les raccords d’images utiles au propos.
J’avais envie de donner l’impression au spectateur d’entrer dans un livre ouvert – ou de lire à cœur ouvert – et de créer une relation, avec les grands voiles blancs et les projections, entre le dehors et le dedans de la scène imaginaire. Dehors, dans la ville, nous sommes avec l’écrivain et dans son univers. Dedans, au théâtre, nous sommes avec l’homme, plongé dans un colloque intime avec une partie de lui-même et sous le regard bienveillant d’Amandine. Avec elle, il interroge ses personnages et les liens qu’il a entretenus avec eux.
Seule Amandine apprenait un texte et connaissait le déroulement des séquences. La stratégie de Régis consistait à ne rien connaître à l’avance, à improviser. Ce qui me donne si souvent l’impression qu’il écrit debout. Et devant la caméra.
Ce caractère improvisé, surprenant pour chacun, nous a obligé à ne jamais occuper la position du savoir.
Dans la relation ainsi établie entre Régis et Amandine, je retrouvais ce qui fait la littérature et la légitime. Dans toutes conversations, existent des sous-conversations. Dans tout monologue se cache un dialogue, « un foisonnement de sensations, d’images, de sentiments, de souvenirs, d’impulsions, de petits actes retenus qu’aucun langage intérieur n’exprime, qui se bousculent aux portes de la conscience, s’assemblent, se défont, se combinent autrement, réapparaissent sous une autre forme ».
J’avais le sentiment de capturer de façon tangible les mouvements souterrains qui précèdent le dialogue et le préparent. Une question demeurait, toujours la même, le dialogue est-il dans les romans de Régis Jauffret, l’aboutissement d’un drame individuel intérieur ou son point de départ ?
Est-ce la raison pour laquelle, Régis Jauffret ne craint pas de marier roman noir et noble littérature, de briser, avec toutes ces affaires criminelles stupéfiantes, le cours d’une narration classique ?
La publicité dans le journal Libération « N’attendez pas que Régis Jauffret soit mort pour le lire » m’offrait une idée simple et en or : la filature.
Enfin, il fallait faire le choix des textes, c’est-à-dire trouver l’énergie du récit à travers eux et raconter une histoire. Celle d’une voix. Celle d’un écrivain. qui « cherche à apercevoir sous de la matière et l’expérience quelque chose de différent ».
Dans Seule au milieu d’elle, la voix se détache d’un corps et devient autonome. Elle est isolée dans la folie non déclarée d’Histoire d’amour et celle manifeste de Clémence Picot. Elle s’élève seule dans la nuit de Promenade… jusqu’à l’échange dans Univers univers, sur la scène, et le rire possible avec Amandine.
Dominique Lucie Brard
Novembre 2006
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