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Un enlèvement de François Bégaudeau |
Paru le : 20 Août 2020 ISBN : 978-2-07-289820-4 Nb de pages : 192 Prix : 18.00 euros |
Extrait : |
Le troisième jour le vent est tombé et nous avons pu disposer le petit déjeuner sur la terrasse. Justine et Louis se sont disputé la place face à la mer. Brune leur a rappelé la règle d’alternance d’un repas à l’autre, et intimé d’arrê- ter leur chahut. La famille voisine ne méritait pas qu’on lui casse les oreilles dès 9 heures du matin. Eux étaient cinq, nous étions quatre, était-il normal qu’on n’entende que nous dans toute la résidence ? La question n’appelait pas de réponse et les enfants se sont tus. Le temps limpide dégageait la vue jusqu’à la rive opposée pourtant lointaine. J’ai demandé à Louis qu’il explique le principe de l’estuaire, sa sœur a répondu à sa place. En représailles je l’ai mise au défi, elle si maligne avec sa moustache de lait d’amande, de citer d’autres estuaires. Achevant de peler un kiwi, Brune a jugé ma question trop ardue. Une question ne devait pas rabais- ser mais valoriser. J’ai tâché de valoriser sans rabaisser, disant que cette question trop ardue l’était moins si on se référait aux fleuves. Il y avait donc l’estuaire de la Gironde, et à part ça ? À part ça Louis ? En fleuves fran- çais on a quoi ? Dans la ville où nous habitons toute l’an- née, c’est lequel qui passe mon grand ? Facile a dit Justine. Chut a dit Brune. Dans l’angle inférieur gauche du panorama, le bac s’est décollé de l’embarcadère pour le premier de ses dix allers-retours quotidiens. Il les accomplirait loyale- ment, sans dévier de sa trajectoire. Le commandant de bord avait un cap et s’y tenait. Les passagers pouvaient se reposer sur lui comme des enfants sur un père. Justine a dit : la Seine. J’ai dit tu exagères en la félici- tant d’une bise. Une rafale a affolé l’emballage de biscottes artisanales et clos la leçon de géographie. J’ai pensé quelle splendeur cette vue et qu’il fallait que je m’occupe du wifi. En sortant, je me suis arrêté à l’agence encastrée au rez-de-chaussée de l’immeuble. La gérante a confirmé qu’à cette période où les locations faisaient le plein, la connexion avait parfois des ratés. Son collier de perles la vieillissait ou bien c’était son âge. Au pire nous pou- vions avoir recours au wifi de la plage, fonctionnel à toute heure. Le code était wifiroyanplage en minuscules toutes attachées. Ainsi désormais même les plages étaient connectées. Je le déplorais. Il y avait un temps pour tout. |
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