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Bruce Bégout |
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Histoires sans chute, amorces de récits, nouvelles tronquées, expériences vécues et inventées, impressions et réflexions, ce livre rassemble, tel un carnet de voyage métaphysique et charnel, quelques facettes de la route américaine : chambres de motel, stations-service, restoroutes, parkings, centres commerciaux, etc.
C’est là, dans cette banlieue illimitée, dévastée par la misère culturelle et la barbarie marchande, que l’auteur traque le presque-rien de nos existences standardisées, non sans y découvrir encore des possibilités de rencontres inopportunes, d’errances libératrices, de réveils enchanteurs. |
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Le livre tente donc le pari de repérer dans la ville américaine toutes les traces d’un sacré banal, de l’illumination profane. Il montre que même les espaces les plus mornes de la banlieue illimitée contiennent des résidus de sens, des potentialités d’expérience magique, une sorte de surréalisme atone et affadi qui se cache dans les interstices de la plus plate quotidienneté.
L’Éblouissement s’essaie à différents styles. Il tourne autour de son sujet sans vouloir le figer dans une seule forme narrative. Par touches successives — esquisses de récits, fausses nouvelles, notations d’un journal de bord, tentatives de méditation théorique —, il s’emploie à dévoiler les pans d’une réalité si ordinaire qu’on ne lui prête jamais attention. Des personnages d’une inquiétante familiarité, presque subliminaux, y font de courtes apparitions (un vieil Indien, des femmes de ménages, des étudiants du samedi soir ou des fêtards black hip hop, un collectionneur de clichés industriels, un cadavre et même un très omniscient sniper). Des semblants d’aventures s’y déploient, en creux. La plupart des textes font monter en puissance un vrai récit, avant de finir par avouer le non-dit de leur suspense : ce presque-rien de l’existence standardisée. Seul le fil conducteur de la route relie ainsi tous les aspects du livre, lequel choisit délibérément une forme éclatée, multiple, fragmentaire.
S’inspirant de Perec et de ses exhumations de l’infra-ordinaire, L’Éblouissement des bords de route met au jour les événements minimes dont la vie contemporaine est faite : conduire, prendre de l’essence, descendre dans un motel, etc. Avec un ton détaché — celui du spectateur lointain qui assiste à un naufrage —, l’auteur rapporte des faits ou des situations auxquels il a été confronté lors de ses nombreux voyages aux États-Unis. Il en tire parfois quelques leçons générales, comme ces moralités placées en tête de certains récits — touchant à la difficulté de vivre dans un univers soumis à un changement perpétuel et à un brouillage des repères spatio-temporels. Non sans garder en mémoire la réflexion théorique — entamée dans ses deux premiers essais chez Allia — Bruce Bégout passe ici de l’autre côté du miroir de la narration. Jouant volontairement du mélange des genres, ses textes courts s’amusent ainsi à flirter avec toutes les combinaisons et les pièges possibles du « documentaire-fiction », cette forme hybride à laquelle le cinéma contemporain a donné depuis une dizaine d’années ses lettres de noblesse.
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