|
Bertrand Leclair |
|
|
Appelez-moi Movi Sévaze, car cette histoire n’est pas une histoire, cette conférence une conférence, l’homme qui vous parle celui que vous entendez.
Movi Sévaze n’est pas le nom d’un personnage, Movi Sévaze n’est rien d’autre qu’une voix. Une voix de gorge surgie du plus profond de l’oubli, une voix qui s’exprime au corps défendant du conférencier, Madère, un ancien détenu dont le public attend un exposé constructif sur la réinsertion sociale éclatante qui a été la sienne.
Mais oublieux des convenances, de la police, des moeurs et de son propre état civil, Madère, dans sa conférence, décide d’en finir avec cette idée de réinsertion sociale, pourvoyeuse de honte et de mort. Car Madère a vécu dans son âme et son corps, ce lent assassinat. Il a tenté en vain, au sortir de prison, de mener une vie enfermée dans les normes. Il a planté dans sa tête les barreaux du dehors, crée sa propre entreprise familiale - entendez sa famille - dégluti les mots des autres jusqu'à la nausée et essuyé les pieds sur la peau des étoiles.
Aujourd’hui, Madère ne veut plus de ce morne purgatoire où lentement pourrissent le temps et la vie.
Il convoque à sa tribune les puissances du désir, s’enflamme de passion au seul prénom d’Agathe dont il dit “avoir touché l’âme du doigt” et donne fiévreusement la voix à tout ce qui résiste, à ce qui persiste dans un monde de plus en plus violemment discontinu, fragmentaire, un monde qui enferme les corps dans des représentations figées, qui veut castrer la langue au terme d’un siècle balafré de camps et qui à élevé l’utile au rang d’ultime religion.
Movi Sévaze est un fleuve de mots, un fleuve en crue qui emporte sur son passage tous les barrages, toutes les digues du discours social, et c’est bien pourquoi il ne pouvait être que d’une seule phrase, d’un seul souffle : aucun point ne devait l’arrêter.
Opposant la violence érotique de l’être à la brutalité obscène du monde, ce texte est donc résolument lyrique jusqu’au ridicule qu’il assume et revendique, mais son lyrisme arraché au cadavre de Dieu est dépouillé de tous ses oripeaux romantiques : c’est un lyrisme dru, qui cherche à faire surgir des caves du paraître, où elle est d’ordinaire enfermée, une vérité de l’être dans le temps, dans la langue.
“ J’ai écrit ce roman d’une conférence sur la réinsertion sociale en 54 jours, ce qui en fait un de trop. Plus exactement, il s’est écoulé 54 jours entre l’instant où le nom de Movi Sévaze s’est imposé à moi et celui où j’ai remis mon manuscrit. Je l’ai écrit dans une période de grande violence, avec le sentiment prégnant d’avoir la mort aux trousses (la mort sociale, s’entend), obsédé par la citation de Felisberto Hernandez que j’ai placé en exergue, et qui dit qu’écrire, c’est faire un effort pour jeter ses phrases vers le futur et les maintenir en l’air pendant que la mort passe sur la terre ”.
B.L.
|
|
|
|
|