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Dominique Quessada |
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Qu’est donc la publicité ? Dominique Quessada n’hésite pas : elle est un système philosophique, ou plutôt le système philosophique qui a absorbé tous les autres, qui réalise, par son actualisation, ce que les systèmes précédents ne pouvaient atteindre, prisonniers qu’ils étaient de leurs propres divisions. Thèse audacieuse qui fait de la publicité une sorte de platonisme transformé par les moyens de la sophistique même.
À l’appui de cette réflexion novatrice, on citera trois arguments majeurs :
— La publicité, contrairement à ce que l’on croit, ne recourt pas à l’image, mais au visuel. Or, si la philosophie classique, iconoclaste, ne pouvait que se heurter à l’image, la philosophie réincarnée par la publicité parvient à réconcilier langage et image, sous une forme nouvelle : l’icône, la marque, l’idée.
— La publicité, médiatrice et intégratrice, réussit à conjuguer l’universel et le singulier. Là encore, si les penseurs ne sont jamais parvenus à venir à bout de la division (y compris la plus banale, entre les hommes), le discours publicitaire, lui, réduit toute scission en produisant de l’uniformitarisme.
— Le publicitaire emprunte à la philosophie ses principaux outils. Mais s’il joue de ses concepts binaires, c’est pour mieux les retourner et les assembler. Et partout, il cherche à dépasser les affrontements dialectiques issus de la philosophie au profit d’une intégration résolutive.
Cette première approche du système conduit à une seconde, plus radicale. C’est ici que Dominique Quessada recourt à l’expression d’Esclavemaître (en un seul mot justement). Ce dernier exprime le dépassement de la théorie hégélienne. L’esclave y devenait le maître : cette lutte supposait une double position (la binarité), du temps (celui d’un affrontement), un drame (la négativité). Or, l’Esclavemaître de notre époque publicitaire met fin à cette dialectique-là — d’abord par l’extinction des antagonismes, par l’annulation du temps (au profit de l’espace et des marques) et par l’abolition des frontières (notamment cette du public et du privé). Ainsi l’Esclavemaître ne cherche-t-il pas à résoudre les contradictions, mais travaille à diffuser l’indistinction, et à étendre partout les manifestations de la “ logique de l’Un ”.
Quant à la question du désir, Dominique Quessada lui consacre ses dernières pages, montrant avec éclat, combien le système publicitaire travaille à combler le désir (et la dimension sexuée de ses manques) en satisfaisant en nous un hermaphrodisme latent — l’homme-femme, celui que le mythe platonicien du Banquet situait à l’origine, et qui semble être devenu notre horizon indépassable.
On ne saurait ici résumer tous les territoires philo-sophiques balisés par cet ouvrage ambitieux, mais on soulignera que chaque démonstration, chaque avancée conceptuelle, chaque étape de pensée s’accompagne de cas de figures, exemples et illustrations puisés dans l’univers des annonceurs et des agences publicitaires.
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