Paru le 4 Janv. 2007
ISBN 978.2.07.078179.9
128 pages
14.00 euros
 
  Tuez-moi
 
   
DU MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS VERTICALES


La Vie en deux
  Lionel Marek
  « Vous seriez l’homme qui a tué ma sœur ? Prouvez-le-moi, je ne laisse pas entrer n’importe qui, surtout à cette heure tardive, et vous me paraissez être n’importe qui. Que me voulez-vous ? Je n’ai besoin de rien, encore moins de ce que vous avez à me proposer, un abonnement à une revue de cuisine, à un bouquet de chaînes câblées, que sais-je encore. “C’est bien moi qui ai tué votre sœur — Mlle Judith Meiersohn”, dites-vous. Sans conviction. En bégayant ce nom trop étranger. » 
 

Leah Meiersohn, une femme d’une quarantaine d’années, ouvre sa porte à un inconnu qui se présente comme le meurtrier de sa sœur Judith... ce qui n’a pas de sens puisque cette dernière a été renversée par une camionnette quelques jours auparavant. Depuis leur installation à Paris, les deux sœurs d’origine allemande vivaient ensemble, malgré leur personnalité dissemblable. L’une, la narratrice, vieille fille amère ; l’autre, pétulante et épanouie, collectionnant les aventures jusqu’à son décès... accidentel ou pas.
L’homme prétend avoir eu un coup de foudre pour Judith à l’instant du soi-disant accident. Face à sa présence menaçante, Leah n’en déverse pas moins sur lui un monologue acide et pétri de culpabilité. Y reviennent par vagues les frustrations affectives accumulées, le poids de l’identité juive, les cicatrices de la Shoah et les rivalités incestueuses des deux sœurs. Autre leitmotiv du ressassement douloureux de Leah : les souvenirs de la démence lubrique du père sénile, ancien déporté, qui ne s’adressait qu’au fantôme de son tortionnaire nazi, sinon à Dieu en personne. De ce flux de confession hostile mais consolatoire va naître un dialogue entre la vieille fille et l’intrus, le début d’un rapport de séduction indirect à travers la disparue, cette Judith qu’ils ont tous deux adorée. Mais cet « échange » va virer au noir et les emporter tous deux : désir d’agression, pulsion sadique, tentation suicidaire.

Jusqu’à ce déchaînement de violence, Lionel Marek semble avoir joué le jeu d’une montée en puissance dramatique, à la fois classique et implacable. Puis ce faux polar bascule, au cœur du monologue de Leah, sur le terrain miné du délire. Pris au piège de cette déraison verbale, le lecteur se met à douter, à remettre en cause tous les indices de la situation de départ. Et si tout n’était que construction fantasmatique d’un cerveau perverti par le ressentiment. Selon la magie réversible du titre du livre, Tuez-moi peut alors s’entendre en trois mots : « Tu es moi ». Et si Judith était Leah ? Et si cette sœur décédée, mais plus vivante que jamais, reprenait la parole pour mieux rompre les liens du sang et échapper à la logorrhée de sa sœur ? Sans dévoiler le final vertigineux du roman, on invitera chacun à aller jusqu’au bout de ce huis clos à trois, jusqu’à l’instant précis où, fatal rebondissement, la boucle se referme sur elle-même.

Dans ce livre court écrit d’un seul souffle, Lionel Marek a su mener de front virtuosité de construction et tension rythmique dans le rendu des obsessions des deux personnages féminins. Ainsi, peut-on lire Tuez-moi comme un roman à suspense autant que comme un soliloque narratif à la Thomas Bernhard. Ce cinquième livre reprend, de façon plus dense encore, ce qui traversait déjà l’ensemble de ses fictions précédentes : les liaisons dangereuses de la culpabilité et du désir, thématique universelle mais ici nourrie, et même hantée, par un double rapport à l’identité juive et à la culture allemande.