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Sandrine Soimaud |
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Un certain Pépère et un jeune garçon sont les deux protagonistes sans nom du deuxième roman de Sandrine Soimaud, Amours posthumes. Un récit qui réunit deux voix, deux solitudes, deux générations à la suite du décès de la Mémère, Denise, qui les a laissés tous deux esseulés. Le vieil homme, uni au jeune adolescent par de lointains liens familiaux, n'a au départ guère plus de rapport avec lui et la famille de feu sa femme, qu'il baptise les "collatéraux réunis". Agacé par leurs venues intempestives et intéressés tous les dimanches, il vitupère contre leur bêtise, leurs rêves matérialistes et leur fiston "bigleux". Plongé dans la solitude le restant de la semaine, il soliloque et se vautre dans les souvenirs, comme il dit : ces 45 ans de mariage avec Denise, cette épouse qui le trouvait si laid et avec qui il n'avait pu avoir d'enfant. Elle partie ; lui veuf, tout remonte à la surface du présent. Le garçonnet, lui, est étonnant de franchise lorsqu'au début du roman il accuse avec sérieux le Pépère, qui n'est même pas son grand-père, de la mort de la regrettée Mémère : "Il la cache au fond d'un placard", annonce-t-il à ses parents avec dégoût. Tout lui déplait chez le vieux : sa laideur, son odeur, ses chocolats. Il égratigne aussi ses parents contre qui sa parole pleine d'animosité résonne avec violence : "Quand j'ai compris qu'ils avaient échangé Mémère contre une machine à laver, ça m'a fait un choc". Une voix qui ne cesse de protester, en somme. La naïveté et la férocité de la conscience de cet enfant de onze ans sont aussi l'expression d'un profond manque d'amour. Les circonstances lui feront peu à peu apprivoiser sa haine, et surtout ce Pépère dont il va perturber les habitudes. Au fil de ce texte à deux voix, l'amour entre ces deux êtres blessés va naître et prendre corps. Comme le dit le "petit-fils", il faut passer sur les apparences pour apprécie'r Pépère, et ils ont beau ne pas être du même sang, une réelle union tendre va se nouer. Est-ce la disparition de la grand-mère, la crise du fils contre ses géniteurs, l'effet posthume de l'amour de Denise ou cette compréhension des démunis de tout qui unit, contre tout attente, ces deux vivants ?
Sandrine Soimaud a su trouver le ton juste pour laisser parler deux voix distinctes et opposées qui vont évoluer avec le temps pour sde rejoindre. Elle a non sans humour permis l'éclosion d'individualités fortes dans une langue souvent cruelle et vive, maniant l'autodérision avec bonheur. Comme cet autoportrait par petite annonce interposée du Pépère recherchant au début de son veuvage une âme soeur : "Femme morte, opéré prostate, paresseux, bouge peu, attends, la F. jolie et saine pour ensoleiller retraite isolée" ; ou ces remarques amères du garçon : "Je suis foutu à l'envers", "Je dois être démodé sur les bords". Si soixante-dix ans les séparent, bien des mots les rassemblent. La plus belle part de cet "amour en mieux", qui ne doit rien à l'obligation d'aimer justement, est celle du respect que leur âge et leur éloignement leur octroie a contrario. S'ensuit une compréhension pudique et tacite de leur âme. Même si le pré-adolescent croît que son Pépère a connu les temps anciens de la chevalerie, il comprend ses mots désuets ; et le vieil homme, lui, entend aussi ses rêves de Power Angels qui se transforme en TGV et joue avec le môme, comme un copain, le sauvant ainsi de cette solitude qui l'accable. Mais ceci ne durera que le temps d'une courte année, car le grand-père, comme la Mémère, ne va pas tarder... Récit d'une authentique rencontre, ce roman est un hommage aux amours humaines qui ne s'embarrassent ni des âges ni des années et dont la prose a la corrosion et le sel des unions choisies.
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